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Abstract :
[fr] Intérieur de Thomas Clerc (Gallimard/L’Arbalète, 2013) et Éclats d’Amérique : chroniques d’un voyage virtuel d’Olivier Hodasava (Inculte, 2014) proposent deux versions opposées du voyage immobile, autour de sa chambre et sans sortir de chez soi. À l’exploration monomaniaque par T. Clerc, pièce à pièce, de son appartement de 50 mètres carrés du dixième arrondissement de Paris – sidérante entreprise de muséographie de soi, aboutissement d’une « passion pour les monuments personnels » d’un écrivain se qualifiant de « post-conceptuel » –, répond le projet de visite des États-Unis d’Amérique, à travers les images capturées par les caméras de Google Street View, qu’O. Hodasava transforme en autant de micro-fictions et d’amorces de récit, donnant à son narrateur des interlocuteurs imaginaires rencontrés dans les zones périurbaines, espaces pauvres et autres « endroits de peu » où s’accroche son errance.
D’un côté, démultiplication de l’espace intérieur, dans la tradition inaugurée par X. de Maistre et poursuivie par J-K. Huysmans ; de l’autre, annulation de l’espace par le branchement, sur d’autres points du réseau, d’un « ici-maintenant » déterritorialisé. Deux manières d’annuler le déplacement sans pour autant renoncer à participer au monde – la visite de l’appartement de T. Clerc s’ouvrant sur les multiples cadres sociaux, amoureux, professionnels qui, dans leur archivage même, forment la maille serrée de son existence. S’il sature la description des lieux de références littéraires (de Poe et Balzac aux amis G. Dustan et E. Levé), c’est pourtant O. Hodasava qui, en brouillant les frontières entre le local et le global, se rapproche peut-être le plus du rêve de des Esseintes d’une échappée esthétique par l’imagination et la fiction depuis sa chaise transformée en moyen de transport.
Ce sont ces stratégies de mise en tension du dedans et du dehors, du privé et du public, du fictionnel et du documentaire, que nous nous proposons d’analyser dans cette communication. En particulier, nous examinerons comment chaque texte tolère la levée des contraintes de recoupement qui, selon O. Caïra (Définir la fiction, 2011), caractérise la manière dont nous reconnaissons qu’un cadre de communication relève de la fiction. Nous ferons l’hypothèse que la difficulté récurrente à définir les non-fictions (particulièrement les creative non fictions), tient à la manière dont, pour chaque dispositif singulier, sont renégociées ces contraintes en tant que principes de composition. La relation mimétique que prétendent conserver ces textes se double en effet d’un caractère axiomatique plus ou moins marqué. Sur ce plan, les stratégies à l’œuvre dans Intérieur et Éclats d’Amérique se montrent réversibles : T. Clerc s’est ainsi livré, avec Nouit (Éditions MIX, coll. « Fiction à l’œuvre », 2009), à un exercice d’imagination narrative autour d’une photographie de Jeff Wall. Le document opère donc chez ces deux auteurs, au sein d’un espace régulé, comme embrayeur de fiction, et cette dernière comme modèle cognitif pour une description ajustée à un objectif de saisie du monde contemporain.