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Abstract :
[en] Aesthetics, if we take into account its etymological meaning (aisthesis in Greek = sensation), is defined as a discipline dedicated to / deprived of the sensitive. However, this meaning (of aesthetics) is rather neglected in the fields that interest me the most: it is not so much a priority in the field of image theory (iconology, for example, is in fact a logic of symbols/meanings much more than a true logic of the gaze); and it is in the field of contemporary art (where globally the concept prevails over the sensitive experience). For several reasons that I cannot go into here in detail - but linked in particular to current developments in art - it seems important to me to take the opposite of this trend and to bring Aesthetics back into the realm of the sensitive, the Aisthesis. One way of doing this, which has already been explored, is to establish a theory (or logic) of sensation, considering the respective powers of the different senses. It is probably no coincidence that, from a research point of view, work is usually divided up according to the agreed division of sensoriality into different modalities (visual, sound, olfaction specialists, etc.). Very often classified from the lowest (touch) to the noblest (sight), sensory modalities have been the subject of very important studies in the philosophical field (from Aristotle's De Anima, through Condillac, to Merleau-Ponty's phenomenology) and in the field of philosophical anthropology - one thinks in particular of H. Plessner, who distinguished himself in an exemplary way in the study of the logic of Aisthesis (study of the mechanisms of description, translation, exchange of data collected by the senses). I say once for the first time something that remains so far of the order of intuition: all the theorists who have worked on the question of sensorialities - and in particular those who have tried to classify them, and therefore to classify them, to distinguish them - come at some point to the problem of synesthesias (on the fact that the senses exchange information between themselves, that they have common functions, that they form alliances). And everyone was able to model the sensitive life in a more or less synesthetic way (more or less consistent with this observation). The examples I have taken already show this: Aristotle in De Anima supposes the existence of a sixth sense, which he calls the "common sense", and by which one is able to perceive the "first qualities" or "amodal qualities" of sensation: intensity, unity, form etc. (qualities that are not specifically associated with a sense, as colour is with vision); Condillac in his Treatise on Sensations reports our ability to perceive (by sight) depths and volumes to touch, and defends the idea that if touch had not informed sight, if there had been no exchange of information between these two senses, we would be unable to perceive anything but colours and light spots, which we would think are stuck to the surface of our eyes; Merleau-Ponty, in Phenomenology of Perception, explores the issues of communication of the senses, their unity by the body and the possibility of synaesthesia - in turn involving the integration of tactile data into the visual experience. Merleau-Ponty defends the idea of a layer originating from the feeling, prior to the division of sensorialities into differentiated channels of information (idea taken up by David Abram - in the field of ecology - or by Daniel Stern - in the field of developmental psychology). So the existence of synesthetic phenomena is generally recognized by those who have considered the sensation. But it seems to me (intuition) that from the point of view of applied (or practical) aesthetics, we are more behind - there are not many readings of the works that activate a synesthetic model.
[fr] L’Esthétique, si l’on prend en compte son sens étymologique (aisthesis en grec = sensation) , se définit comme une discipline vouée/rivée au sensible. Or, ce sens-là (de l’esthétique) s’avère plutôt négligé dans les domaines qui m’intéressent le plus : il n’est pas tellement prioritaire dans le champ de la théorie de l’image (l’iconologie par ex. est en fait une logique des symboles/significations bien plus qu’une véritable logique du regard) ; et il est minoré dans le champ de l’art contemporain (où globalement le concept prime sur l’expérience sensible). Pour plusieurs raisons que je ne peux pas reprendre ici en détail – mais liées notamment aux développements actuels de l’art , il me semble important de prendre le contre-pied de cette tendance et de faire revenir l’Esthétique sur le terrain du sensible, de l’Aisthesis. Une des manières de faire, et qui a déjà été explorée, consiste à établir une théorie (ou une logique) de la sensation, en envisageant les puissances respectives des différents sens. Ce n’est sans doute pas un hasard si, du point de vue de la recherche, on se répartit habituellement le travail en respectant le découpage convenu de la sensorialité en différentes modalités (on distingue les spécialistes du visuel, du son, de l’olfaction, etc.). Très souvent classées du plus bas (toucher) au plus noble (vue), les modalités sensorielles ont fait l’objet d’études très importantes dans le champ philosophique (depuis le De Anima d’Aristote, en passant par Condillac, et jusqu’à la phénoménologie de Merleau-Ponty) et dans le champ de l’anthropologie philosophique – on pense notamment aux travaux de H. Plessner, qui s’est démarqué de manière exemplaire dans l’étude de la logique de l’Aisthesis (étude des mécanismes de description, traduction, échange des données récoltées par les sens). Je dis une première fois quelque chose qui reste jusqu’ici de l’ordre de l’intuition : tous les théoriciens qui ont travaillé sur la question des sensorialités – et en particulier ceux qui ont tenté de les classer, et donc pour les classer de les isoler, de les distinguer – tombent à un moment donné sur le problème des synesthésies (sur le fait que les sens échangent entre eux des informations, qu’ils ont des fonctionnements communs, qu’ils contractent des alliances). Et chacun a pu modéliser la vie sensible de façon plus ou moins synesthésique (plus ou moins cohérente avec ce constat). Les exemples que j’ai pris le montrent déjà : Aristote dans le De Anima suppose l’existence d’un sixième sens, qu’il appelle le « sens commun », et par lequel on est capable de percevoir les « qualités premières » ou « qualités amodales » de la sensation : l’intensité, l’unité, la forme etc. (des qualités qui ne sont pas spécifiquement associées à un sens, comme la couleur l’est à la vision) ; Condillac dans son Traité des sensations rapporte notre capacité à percevoir (par la vue) les profondeurs et les volumes au toucher, et défend l’idée que si le toucher n’avait pas informé la vue, s’il n’y avait eu aucun échange d’informations entre ces deux sens, nous serions incapables de percevoir autre chose que des couleurs et des taches lumineuses, dont on penserait qu’elles sont collées à la surface de nos paupières ; Merleau-Ponty, dans la Phénoménologie de la perception, explore les questions de la communication des sens, de leur unité par le corps et de la possibilité de synesthésies – supposant à son tour l’intégration de données tactiles dans l’expérience visuelle. Merleau-Ponty défend l’idée d’une couche originaire du sentir, antérieure à la division des sensorialités en canaux différenciés d’informations (idée reprise par David Abram – dans le domaine de l’écologie – ou par Daniel Stern – dans le domaine de la psychologie du développement). Donc l’existence de phénomènes synesthésiques est globalement reconnue par ceux qui ont envisagé la sensation. Mais il me semble (intuition) que du point de vue de l’esthétique appliquée (ou pratique), on est plus en retard – il n’y a pas beaucoup de lectures des œuvres qui activent un modèle synesthésique.