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Abstract :
[fr] La lenteur en littérature est souvent pensée comme le résultat d’une préférence donnée aux temps faibles sur les temps forts. Cette préférence entraverait la progression narrative et ralentirait donc son développement. Une manière de penser le temps fort et le temps faible en narratologie a été formulée par Roland Barthes dans « Introduction à l'analyse structurale des récits » (1966), laquelle procède à l’aide de la distinction entre ce qu’il nomme le noyau et la catalyse. Les noyaux constituent « les charnières du récit » et forment l’armature chronologique et logique de l’histoire. Les catalyses complètent les noyaux et constituent des zones de repos. En d’autres termes, les noyaux correspondent aux événements ou temps forts de l’histoire qui s’enchaînent pour former l’intrigue de l’œuvre. Cet enchaînement logique de temps forts est la condition minimale pour qu’une narration soit comprise comme telle et est de plus ce qui fait son intérêt pour le lecteur. Les temps faibles ou catalyses, quant à elles, viennent compléter ces moments notables.
La préférence donnée au temps faible dans le récit lent, qui évacue presque entièrement les événements au sens narratif, permet de comprendre pourquoi la lenteur est souvent associée à l’excès : excès de descriptions, de répétitions, de digressions ou encore, de façon plus générale, d’excès de sujet, comme le postule Pierre Bayard dans Le Hors-sujet: Proust et la digression. Cette communication examinera la relation entre temps faible et lenteur, plus complexe qu’il n’y paraît au premier abord, dans le roman La Salle de bain (1985). Ce roman de Jean-Philippe Toussaint est structuré autour de temps faibles où, comme le remarquent Marie-Pascale Huglo et Kimberley Leppik, « presque rien de notable ou de “ narrable ” ne survient ». Or, il s’agit d’un texte court, laconique et fragmentaire et régulièrement décrit comme minimaliste, se situant donc loin de l’excès de sujet proustien. Le but de cette intervention sera de démontrer qu’une autre conception de la lenteur, centrée sur l’absence de noyaux, y est en jeu.