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Abstract :
[en] What can philosophy do about distress situations such as the one told by Alex Lorette in Mouton noir (school harassment and suicide)? We will share the same reflex with Clément Thirion's play: to make it more complex. Not to try to explain the act of suicide, which necessarily escapes our reason - finding a cause for it would be a final act of violence - but to restore its complexity. To think differently about the supposed maladjustment of the person who ends his life. Do not hide social violence behind psychological fragility. Explain the diversity of forms of violence (including the possible/involuntary violence of the "caregiver"). Question the harassment and the new ways it is taking place in the "digital society". To get out of the alternative of the executioner and the victim. Debate on stage moderated by Maud Hagelstein with Grégory Cormann (philosopher), Jérôme Englebert (psychologist), Antoinette Rouvroy (law researcher) and Clément Thirion (director).
[fr] Que peut la philosophie face aux situations de détresse telles que celle racontée par Alex Lorette dans Mouton noir (harcèlement scolaire et suicide) ? On partagera avec la mise en scène de Clément Thirion un même réflexe : complexifier. Non pas tenter d’expliquer le geste du suicide, qui se dérobe nécessairement à notre raison – lui trouver une cause serait d’ailleurs un ultime acte de violence – mais lui restituer sa complexité. Penser autrement l’inadaptation supposée de celui qui met fin à sa vie. Ne pas cacher la violence sociale derrière la fragilité psychologique. Exposer la diversité des formes de violence (y compris la violence possible/involontaire de celui qui « prend soin »). Interroger le harcèlement et les modalités nouvelles qu’il prend dans la « société numérisée ». Sortir de l’alternative du bourreau et de la victime. Débat sur plateau animé par Maud Hagelstein avec Grégory Cormann (philosophe), Jérôme Englebert (psychologue), Antoinette Rouvroy (chercheuse en droit) et Clément Thirion (metteur en scène).
Commentary :
Que peut la philosophie face aux situations de détresse telles que celle racontée par Alex Lorette dans Mouton noir (harcèlement scolaire et suicide) ? On partagera avec la mise en scène de Clément Thirion un même réflexe : complexifier. Non pas tenter d’expliquer le geste du suicide, qui se dérobe nécessairement à notre raison – lui trouver une cause serait d’ailleurs un ultime acte de violence – mais lui restituer sa complexité. Penser autrement l’inadaptation supposée de celui qui met fin à sa vie. Ne pas cacher la violence sociale derrière la seule fragilité psychologique. Exposer la diversité des formes de violence (y compris la violence possible/involontaire de celui qui « prend soin »). Interroger le harcèlement et les modalités nouvelles qu’il prend dans la « société numérisée ». Sortir de l’alternative du bourreau et de la victime.
Mouton noir est une pièce qui appelle la réflexion sur les rapports de l’individu au groupe humain, familial ou sociétal, et sur la violence qui peut innerver ces rapports. Comment survit l’élément différent dans le groupe ? Peut-on parler de mauvaise adaptation à la vie sociale ? Quelles sont nos capacités à s’accorder aux autres ? Où trouver des lignes de fuite ; comment développer des stratégies de sortie ? Le paysage dans lequel évolue Camille, l’adolescente de 15 ans dont Mouton noir retrace la trajectoire, laisse apparaître plusieurs formes de violence. L’agression directe et tenace du harcèlement par les pairs. Mais aussi la violence possible de formes d’attention (ou même de soin) qui s’avèrent toxiques alors qu’elles sont apparemment saines. La bienveillance insistante – de la mère de Camille, par ex. – produit parfois des effets contraires aux intentions. La mise en scène de Clément Thirion entend ne pas donner au spectateur l’occasion de pointer du doigt avec certitude un coupable. Pour ne pas recourir avec trop de facilité au schéma explicatif bourreau/victime, il faut poser toutes les questions : Qui est responsable de la violence et de la cruauté qui parait s’exercer de manière exclusive et acharnée sur un individu ? Quelle est la part de responsabilité qu’on peut faire endosser à la personne exclue ? Quelle nouvelle économie des rapports – et quel cadre pour la violence – engage la société numérisée ?
« Il restera toujours une part d’énigme. On invoquera tel ou tel écueil d’une histoire singulière, un chagrin d’amour, un échec cuisant, une humiliation ou une douleur insupportable. En sachant bien que cela ne suffit pas. Car tous les abandonnés, les humiliés, les désespérés ne se donnent pas la mort, on le sait bien. On supposera alors une fragilité et on cherchera du côté de la psychologie, de la psychanalyse ou de la psychiatrie, un trait, une faille, un trauma, voire une pathologie. Toutefois, là encore, il est bien évident que tous les dépressifs, les traumatisés, les souffrants ne mettent pas fin à leurs jours (…). Néanmoins, les proches tenteront inlassablement de trouver une raison, fût-elle de déraison. Et souvent, comme mes parents, ils s’en voudront de n’avoir pu anticiper et changer le cours des choses (…). Quelque chose en moi s’insurge contre le fait d’analyser un suicide, de lui trouver une cause, et plus encore une seule. Car il me semble que c’est faire violence à la personne qui a décidé de mettre fin à sa vie. Une violence d’autant plus grande qu’elle n’a plus voix au chapitre. C’est oublier la complexité de son histoire et nier cette part de liberté dans ce qui demeure un choix, fût-il sous très forte contrainte » (Nicole Lapierre, Sauve qui peut la vie, 2015).
Débat sur plateau animé par Maud Hagelstein avec Grégory Cormann (philosophe), Jérôme Englebert (psychologue), Antoinette Rouvroy (chercheuse en droit) et Clément Thirion (metteur en scène).