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Abstract :
[fr] La question de la réhabilitation des délinquants, y compris celle des adolescents, est depuis
longtemps jalonnée par de nombreux questionnements : est-il possible de traiter efficacement
les délinquants ? Si oui, y a-t-il des méthodes plus efficaces que d'autres ? Ces méthodes sontelles
adaptées à tous les profils de délinquants ? La présente recherche s’intègre pleinement
dans cette démarche réflexive concernant les possibilités de réhabilitation des adolescents
délinquants. Spécifiquement, l’Administration Générale de l’Aide à la Jeunesse et le cabinet
du ministre Madrane ont souhaité que soit menée une recherche concernant le dispositif
clinique et pédagogique à développer au sein de nouvelles structures d’observation et
d’évaluation accueillant des mineurs ayant commis des faits qualifiés infraction. Plusieurs
objectifs ont été définis dans ce cadre :
Le premier objectif concernait la réalisation, dans un délai court, d’un bilan relatif à
l’environnement social du jeune et à ses attitudes et aptitudes comportementales et
psychologiques afin d’informer rapidement les autorités mandantes et les amener, le cas
échéant, à réviser la mesure de placement ordonnée. Ce bilan devait être réalisé au moyen
d’un canevas standardisé. Un deuxième objectif était de permettre la réalisation, dans un délai
court, d’une grille comportant les balises cliniques pour déterminer les besoins du jeune au
terme de cette prise en charge de courte durée. Il s’agissait de déterminer au moyen de cette
grille : le choix du projet de vie du jeune ; des critères conduisant soit à un retour du jeune
dans son milieu de vie (ainsi que les conditions de ce retour et la nécessité ou non d’un
accompagnement dans le milieu de vie), soit à une confirmation de la nécessité d’un
éloignement du milieu de vie pour mener le projet éducatif (éloignement privatif de liberté).
Pour répondre à ces deux premiers objectifs, nous avons proposé l’utilisation de l’outil
YLS/CMI-YCA. Cet outil est une combinaison innovante des outils YLS/CMI 2.0 et YCA et
permet une évaluation conjointe et détaillée du risque, des besoins, des forces et de la
réceptivité. Notre proposition d’évaluation résulte d’un intérêt grandissant pour deux modèles
conceptuels longtemps dissociés, à savoir le modèle RBR (risque-besoin-réceptivité) et le
modèle GLM (basé sur l’évaluation des forces), dont sont issus les outils YLS/CMI 2.0 et
YCA, respectivement. Le contenu de l’évaluation proposée par l’outil YLS/CMI-YCA a fait
l’objet d’un pré-test auprès de jeunes et intervenants de différentes IPPJ de la fédération
Wallonie-Bruxelles. L’objectif poursuivi était de pouvoir proposer une évaluation qui tiennent
compte de la réalité de terrain des intervenants et des jeunes afin qu’elle corresponde à notre
culture juridique et pédagogique belge.
Le YLS/CMI-YCA comporte sept parties distinctes. Les trois premières parties de l’outil sont
destinées à l’évaluation des risques, des besoins, de la réceptivité et des forces du jeune,
aboutissant à une détermination du niveau de risque de récidive du jeune dans une section
ultérieure de l’outil. Concrètement, le jeune est évalué relativement à 42 facteurs de risque et
de besoin qui, selon les recherches, sont ceux qui permettent de prédire de manière fiable le
passage à l’acte délinquant chez l’adolescent. Ces facteurs sont répartis en 8 domaines
(infractions antérieures/à l’origine de la disposition en cours, situation familiale et relation
avec les parents, éducation/emploi, relations avec les pairs, abus de substances,
loisirs/activités récréatives, personnalité/comportement et attitudes/orientation). En plus de
cette évaluation des risques et des besoins, l’outil proposé prend également en compte les
forces du jeune dans trois domaines distincts intitulés « réparation », « identité et
compétences » et « connexion avec la famille, les pairs et la communauté ». Dans la seconde
partie de l’outil, il s’agit de fournir un sommaire des résultats relatifs à l’évaluation de la
partie 1 et de déterminer un niveau de risque de récidive global (faible, modéré, élevé et très
élevé). La troisième partie se rapporte à l’évaluation des facteurs de réceptivité. Elle permet
de considérer un large éventail de facteurs qui représentent des caractéristiques du jeune (par
exemple, difficultés d’apprentissage) et de ses circonstances de vie (par exemple, parents peu
coopératifs) qu’il serait nécessaire de prendre en compte dans l’établissement du projet du
jeune. Enfin, la quatrième partie permet à l’intervenant de moduler le diagnostic chiffré
obtenu à partir de l’évaluation des risques et des besoins (partie 1 de l’outil) s’il estime que
des facteurs de force et de réceptivité doivent nuancer le niveau de risque du jeune. C’est cette
détermination qui sera au final utilisée pour orienter la décision de placement vs retour dans le
milieu de vie, ainsi que l’intensité du suivi proposé.
Suite à l’évaluation des risques, des besoins, des forces et des facteurs de réceptivité des
jeunes, l’étape suivante (partie 5 de l’outil) consiste à orienter le jeune vers un maintien dans
un milieu de placement vs un retour vers le milieu de vie ainsi qu’à déterminer un niveau de
supervision pour le jeune. Ces décisions doivent en théorie correspondre au niveau de risque
du jeune et se basent donc sur le niveau de risque final mis en évidence dans la partie 4 de
l’outil d’évaluation. Dans l’outil que nous proposons d’utiliser, la décision de placement ou
de maintien dans le milieu de vie ainsi que le niveau de supervision qui y est associé est
laissée à la discrétion de l’évaluateur. Cependant, nous avons mené une réflexion autour de
critères pour l’orientation et la supervision des jeunes afin de guider le travail des intervenants
chargés de remplir l’évaluation. Concernant la décision d’orientation, nous avons formulé
trois propositions de modèles conceptuels, chacun d’eux étant basé sur une vision bien
distincte de l’orientation des jeunes. En accord avec la philosophie des outils d’évaluation
présentés, ces trois modèles conceptuels sont basés sur le risque, les forces ou les deux
respectivement, en terme de décision et d’intervention. Ces propositions ont été discutées
avec le comité d’accompagnement de la recherche et ont mené au choix du modèle mixte. La
conception de l’intervention selon ce modèle est directement reliée à notre proposition
d’utilisation conjointe de l’outil d’évaluation des risques et des besoins YLS/CMI 2.0 et celle
du YCA relative à l’évaluation des forces. Concernant, la supervision des jeunes, nous
proposons, à l’instar de ce qui a été fait dans d’autres pays, des critères permettant aux
intervenants de déterminer à quelle fréquence les rencontres de supervision pourraient être
réalisées. Précisons qu’il s’agit ici d’une supervision qui a pour objectif de vérifier si les
objectifs fixés aux jeunes dans le cadre de son plan d’intervention sont atteints, sur le point de
l’être ou non. Il ne s’agit pas ici des interventions (par exemple, un suivi thérapeutique ou une
guidance éducative) qui pourrait être préconisées pour le jeune, celles-ci s’intégrant plutôt au
sein du plan d’intervention identifié pour le jeune et pouvant être développées en parallèle de
la supervision du jeune. L’adoption d’un modèle conceptuel basé à la fois sur les risques et les
forces concerne également la partie 6 de l’évaluation qui consiste à déterminer un projet pour
le jeune. La définition et formulation des objectifs qui seront fixées au jeune ainsi que les
propositions d’intervention seront directement liées à la détection des ses risques, ses besoins
et ses forces. Enfin, la dernière partie de l’évaluation concerne la réévaluation du projet du
jeune à différents points dans le temps (partie 7).
Le troisième objectif concernait la définition du contenu pédagogique d’une intervention de
courte durée ainsi que le contenu de l’évaluation de cette intervention. Le quatrième objectif
concernait quant à lui la détermination du processus d’implantation du nouveau projet
pédagogique relatif à ces interventions de courte durée.
Pour répondre à ces deux objectifs, nous avons proposé l’utilisation d’une activité de
résolution de problèmes. Cette activité consiste à travailler sur les cognitions et les schémas
de pensées antisociales des adolescents. Les raisons pour lesquelles nous pensons que
l’utilisation d’une activité de résolution de problèmes est particulièrement adaptée dans le
cadre d’une intervention de courte durée sont multiples, tant au niveau de la pertinence de
contenu que concernant son dispositif pratique. Premièrement, une personnalité antisociale
(peu de self-control, agressivité, etc.) et des cognitions antisociales (croyances antisociales,
distorsions/biais, etc.) sont considérés comme les facteurs les plus déterminants du niveau de
risque après les antécédents délinquants de l’individu (Harder, Knorth & Kalverboer, 2014)1.
Ces points sont spécifiquement évalués à travers l’utilisation du YLS/CMI-YCA au sein des
domaines « personnalité et comportement » et « attitudes et orientation ». Deuxièmement,
l’activité de résolution de problèmes est très structurée dans sa forme et son contenu, peut se
donner individuellement ou en groupe, et utilise des méthodes concrètes comme le modeling,
le jeu de rôle, les discussions et les échanges de points de vue sur des situations réelles et
problématiques vécues par les jeunes. Ce type de techniques est associé aux modes
d’apprentissages préférentiels des adolescents (présentisme, jeu et échanges, présence des
pairs, etc.) (Grégoire & Mathys, 2015 ; LeBlanc & Trudeau LeBlanc, 2014) et peut être
directement mis en relation avec la section réceptivité du YLS/CMI-YCA désignant la
nécessité d’exposer les jeunes à des types d’intervention et modalités d’apprentissage
considérés comme étant significatifs pour eux. Troisièmement, l’activité de résolution de
problèmes comprend cinq étapes, chacune associée au travail d’une habileté en particulier,
comme par exemple se fixer un but en travaillant par micro objectifs, chercher de
l’information ou encore s’éloigner de son propre point de vue. Cette démarche de mise en
exergue des capacités du jeune est pertinente par rapport à l’utilisation de l’outil de
détermination des forces que nous proposons. Enfin, concernant son dispositif, l’activité de
résolution de problèmes ne nécessite pas un groupe fermé ni une progression dans les
habiletés travaillées et convient donc au contexte particulier d’une structure de prise en charge
de courte durée. Plusieurs objectifs peuvent être visés par l’utilisation de l’activité de
résolution de problèmes dans le cadre des nouveaux services d’observation et d’évaluation.
Premièrement, il s’agit d’amener les adolescents à prendre un moment de réflexion entre une
situationproblématique et la réaction à cette situation. Il s’agirait dès lors d’initier
l’apprentissage d’une méthode pour y parvenir. Deuxièmement, cette activité a pour but
d’amener les jeunes à développer des solutions socialement acceptables. Troisièmement, cette
activité permet de les amener à se responsabiliser en regard de la solution choisie et à ne pas
la subir de la part de l’adulte. En plus de ces objectifs que l’on peut qualifier de proximaux,
un objectif plus distal concerne la non-récidive des adolescents. Différentes recommandations
sont à considérer pour optimiser l’efficacité de l’activité de résolution de problèmes (cf.
animation, composition du groupe d’adolescents,..) et feront partie intégrante du processus
d’implémentation de l’activité. Dans notre proposition, nous suggérons enfin de réaliser deux
types d’évaluation concernant l’activité : une première de la part de l’intervenant au sujet du
dispositif mis en place et une seconde liée au jeune et à son évolution au regard des objectifs
de l’activité. Précisons que le contenu de l’activité que nous proposons a fait l’objet d’un prétest
réalisé auprès d’intervenants (pour le contenu et l’implémentation) et de jeunes (pour
l’évaluation) dans différentes IPPJ. L’objectif de notre démarche était notamment de recueillir
les avis des intervenants sur le contenu de l’activité mais aussi identifier les premiers leviers
et obstacles mis en évidence afin d’optimaliser les propositions relatives à l’implémentation et
au suivi de ce dispositif pédagogique.
Enfin, le cinquième objectif concernait l’investigation d’éléments pertinents pour la
détermination quantitative de l’offre en interventions de courte durée au sein des IPPJ. Cet
objectif est actuellement poursuivi. Précisons toutefois que la création d'une banque de
données concernant le profil des jeunes placés suite à la mise en place du dispositif, voire une
validation de l'outil à plus grande échelle permettrait de répondre plus précisément à ce
questionnement.
Pour terminer, plusieurs recommandations nous semblent essentielles à formuler à la suite de
cette recherche. Celles-ci font écho à des propositions que nous avons mentionnées dans le
rapport de recherche et/ou proviennent des observations collectées auprès des intervenants et
des jeunes. Tout d’abord, nous considérons que la pratique de l’évaluation diagnostique et de
l’activité de résolution de problèmes requiert une formation au préalable des praticiens. En
effet, veiller à l’intégrité de nouvelles pratiques et à la formation continue des intervenants qui
les dispensent est indispensable ; rejoignant là les considérations de plusieurs auteurs sur le
sujet, en faisant un élément clé d’une démarche d’implémentation réussie (Mihalic et al.,
2004). Afin d’accompagner la démarche d’implémentation balisée par cette recherche, il nous
parait également opportun que les équipes des services d’observation et d’évaluation soient
accompagnées dans leur quotidien afin d’ajuster le dispositif développé et ainsi le faire
correspondre au mieux aux réalités de terrain tout en préservant ses composantes scientifiques
reconnues. La possibilité de structures pilotes a été discutée dans ce cadre. Nous considérons
ensuite que la sélection d’un modèle conceptuel par les autorités est capitale dans la mesure
où l’orientation choisie guidera la détermination du choix d’un retour dans le milieu de vie ou
le maintien au sein d’un milieu de placement, ainsi que le niveau de supervision associé.
Enfin, des possibilités de recherche fondamentale ont également été envisagées afin de
confirmer les profils mis en évidence par l’outil diagnostique et vérifier que ceux-ci
correspondent à notre réalité, tant juridique que sociétale.