No document available.
Abstract :
[fr] On voudrait ici interroger un trait curieux de l’histoire des catégories populaires du romanesque frappant par son (apparence de ?) paradoxe, et sur lequel il y aurait lieu, semble-t-il, de formuler quelques remarques. Ce phénomène concerne un discours qu’a pu tenir, de façon récurrente, le roman d’aventures du XIXe siècle à propos de lui-même et de ses romanciers. En effet, ce secteur productif a ressenti très tôt le besoin, d’un côté, de « s’autoriser du voyage » en quelque sorte, en plaçant ses récits, qu’ils soient plus ou moins fantaisistes, sous le signe de l’aventure vécue, de la relation, ou même du travelogue revendiqué (le paratexte, à cet égard, est patent – on en donnera un digest représentatif) ; mais d’un autre côté, à mesure que s’étoffait cette même production, elle voyait s’élever de grands devanciers sous l’autorité desquels pouvaient désormais se positionner des héritiers et/ou épigones à la mémoire plus ou moins heureuse : ainsi, depuis le titre de « Walter Scott américain » décerné à Fenimore Cooper (sans doute le premier cas attesté de notre phénomène), tout le siècle grouillera d’étiquettes accréditantes du même genre, par lesquelles des générations renouvelées de romanciers d’aventures se proposeront au public. Dans le cas de cette quête d’auteurs-garanties, c’est évidemment l’illustration d’un lignage générique qui est poursuivie. Ainsi – sans exhaustivité – parlera-t-on, dans les journaux et les discours périphériques, d’Alexandre Dumas comme du « Walter Scott français », de Gabriel Ferry comme du « Cooper français », de Gustave Aimard, ou même d’Emmanuel Gonzalès (dans la Gazette bibliographique de 1881) selon les cas, comme d’un « Cooper français » ou d’un « Mayne-Reid français » ; de Karl May comme du « Cooper allemand », de Salgari comme du (seul) « Verne italien », et même de Louis Boussenard comme du « Verne beauceron » ( !) Il se tisse là un réseau proliférant de cooptation d’auteurs et d’essais d’affiliation hautement génériques, dont on peut déjà observer, à ces quelques exemples, que ce geste fraye et se reproduit dans toutes les industries paralittéraires d’Europe.
Comment le romancier assume-il ce paradoxe ? L’assume-t-il seulement, ou se complaît-il plutôt à jouer sur l’un ou l’autre tableau ? Qui est le romancier d’aventures – ou, plutôt, que veut-il être ? Plus profondément encore : où cette oscillation définitoire – contradictoire – débouchera-t-elle à la fin du siècle, et quel « pêché définitoire originel » dénonce-t-elle aux racines mêmes du roman d’aventures ? Nos remarques procéderont par études de cas précises, en s’efforçant de faire dialoguer ces décorticages particuliers avec la réflexion théorique et les hypothèses de réponses que nous tenterons de formuler. Entre l’ethos du vadrouilleur se disant secondairement écrivain (ou écrivain par accident) et l’héritier générique cherchant son Médiateur à la matière et aux codes indépendants et bien établis, notre argument voudra explorer, en tout cas, un lieu d’intense dialectique dans les dynamiques d’accréditation du récit paralittéraire dixneuvièmiste.