Analyse des effets des exigences d’accountability sur l’organisation du travail des intermédiaires de l’emploi : mise en perspective de tensions identitaires

Suite aux nombreux bouleversements économiques et sociaux qui ont touché les
pays de l’Union européenne fin des années 1980, d’impérieux besoins de lisibilité et de
modernisation des services publics de l’emploi sont apparus. Ceux-ci doivent
dorénavant veiller à la mise en œuvre d’exigences a priori incompatibles telles qu’être
efficaces, flexibles et respecter une enveloppe budgétaire, tout en œuvrant à l’inclusion
sociale.
La mise en œuvre de ces exigences s’inscrit dans la lignée du nouveau management
public qui introduit les valeurs et les modes de fonctionnement de la firme privée au
sein d’administrations publiques à caractère bureaucratique (Pesqueux, 2006 ; Bezes,
2012). Parmi les services publics de l’emploi belges, cette transformation de l’action
publique s’apparente à une décentralisation partielle de leurs ressources et de leurs
responsabilités auprès de partenaires privés. Ce nouveau mode d’organisation du travail
prend la forme de partenariats publics-privés dont la visée est d’assurer conjointement
la réinsertion socioprofessionnelle des demandeurs d’emploi (Aubert et Patry, 2004).
Dans leurs activités, tant les services publics de l’emploi que les prestataires privés sont
amenés à devoir rendre des comptes sur la réalisation de leurs pratiques. Cette exigence
d’accountability comporte un double but : (1) être transparent ; (2) légitimer l’utilisation
de l’argent public.
Prenant appui sur les apports de la sociologie des groupes professionnels, nous
analyserons l’influence des exigences d’accountability sur l’organisation du travail des
intermédiaires. Pour ce faire, nous avons réalisé une recherche empirique de nature
qualitative (N = 317 observations ; N = 40 entretiens semi-directifs) en Fédération
Wallonie-Bruxelles auprès de deux prestataires de l’emploi : un public et un privé. Nous
montrerons que le travail relationnel d’accompagnement réalisé par ces deux acteurs est
résumé par des chiffres et de la saisie de données, rendant de la sorte invisible leur coeur
de métier. Initialement engagés pour réaliser une mission foncièrement relationnelle (à
savoir l’accompagnement des demandeurs d’emploi), ils sont désormais contraints par
des procédures et mus par une logique d’efficacité. Ce hiatus, entre l’aspect relationnel
de la fonction et les exigences d’efficacité concomitantes, se cristallise dans deux
tensions identitaires, dont nous rendrons compte.