No document available.
Abstract :
[fr] Le voyage au centre de la Terre a été magistralement imaginé par Jules Verne en 1864 avant de devenir un véritable topos de la littérature populaire et de jeunesse. Sa postérité s’illustre dans les multiples déclinaisons de la terre creuse, recensées notamment par Guy Costes et Joseph Altairac dans leur bibliographie commentée en 2006. En quoi ce motif plus communément associé à une atemporalité (monde perdu, histoire secrète) ou à une régression temporelle (monde sauvage, vie des cavernes) intervient-il aussi dans une écriture de l’anticipation ? Chez Verne lui-même, il s’agit à la fois d’un voyage à rebours dans le temps, chaque strate parcourue correspondant à un recul historique, et d’une expédition scientifique déployant une technologie et des connaissances novatrices.
Ce motif topique semble donc porteur d’une ambiguïté temporelle féconde. La communication proposera un parcours transversal dans le corpus d’anticipation francophone allant d’Ignis (1883) de Didier de Chousy qui traite de l’exploitation d’une nouvelle énergie géothermique, le « feu central de la Terre », jusqu’à Régis Messac dont La Cité des Asphyxiés (1937) dépeint un monde intra-terrestre dystopique. Les reprises de la terre creuse permettent d’éclairer l’importance des filiations génériques, des supports partagés et des formules éditoriales à succès, mais elles mettent aussi en évidence des œuvres atypiques, traduisant de manière spécifique le discours social et scientifique de leur époque.
Si Verne, ses épigones et d’autres auteurs d’anticipation ont pu être tentés de réinvestir la terre creuse en fiction à un moment où sa réalité n’est plus perçue comme crédible dans le champ scientifique, c’est sans doute en raison de l’intrication particulièrement dense des disciplines concernées (géographie, géologie, paléontologie, sciences naturelles) et de l’importance des idéologies qui ont pu les croiser et les dynamiser : positivisme, hygiénisme, colonialisme, craintes écologiques. Cette communication voudrait montrer comment le motif fécond de la terre creuse, dans son évolution complexe du plausible à l’irréel, passe d’une croyance à une théorie scientifique avant de se développer en chronotope littéraire.