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Abstract :
[fr] Nous souhaitons interroger ici le concept sartrien de situation à partir d’une double approche historique et psychopathologique qui semble en diagnostiquer la disparition tout aussi bien conceptuelle qu’existentielle : la notion de situation, organisatrice de l’ontologie phénoménologique de Sartre et pivot de son engagement, semble s’être aujourd’hui désintégrée en tant que concept (voir ses usages pseudo-conceptuels dans les domaines de la pédagogie et du management), alors que ce qu’on appelle la « condition postmoderne », telle qu’elle s’exprime dans de nouvelles symptomatologies psychopathologiques, rend apparemment caduque, face à la fragmentation des repères de l’existence, l’exigence de penser en/la situation. Nous procèderons en trois temps. Nous ferons d’abord la généalogie du concept, dont l’application à la psyché humaine et à la représentation théâtrale de celle-ci remonte, selon Leo Spitzer, à la fin du 17ème siècle. Dans cette première section, nous insisterons en particulier sur le rapport que l’élaboration du concept de situation entretient, au début du 20ème siècle, avec l’émergence de la psychopathologie notamment chez Jaspers (« situation-limite ») et chez Minkowski (nous rappellerons à cet égard le rôle de Gabriel Marcel dans le champ philosophique français de l’entre-deux-guerres). Nous serons également attentifs à la critique méthodologique que le concept de situation permet d’adresser à la métapsychologie freudienne. Sur cette base, nous reprendrons ensuite les principales étapes chez Sartre de la prise en considération de l’homme en situation et des possibilités de dépassement de cette situation. Nous envisagerons successivement l’Esquisse d’une théorie des émotions, « Questions de méthode » et L’Idiot de la famille. Il conviendra certes de rappeler comment l’existentialisme, comme le situationnisme à sa façon, a cherché, dans le sillage du marxisme, à réaliser la philosophie et du coup à transformer le concept en vécu. Mais nous montrerons aussi, à rebours, comment l’œuvre sartrienne, confrontée aux exigences conjointes du marxisme et de la psychanalyse (cf. l’analyse des pressions familiales dans le Flaubert), a dû dépasser le cadre de la magie émotionnelle au sein duquel la notion de situation s’était d’abord élaborée. Au-delà de la « situation sartrienne » – et peut-être en la prolongeant –, la critique de Deleuze des dispositifs nous servira enfin, dans un troisième temps, de point de bascule vers la condition postmoderne et la fragmentation de la situation en tant que repère d’existence. Le sujet borderline – véritable éclat de la postmodernité – nous permettra ainsi de conclure en reprenant le propos psychopathologique maturé par l’évolution conceptuelle de la situation. Nous caractériserons l’existence borderline par une fragmentation du soi corrélée à une explosion, voire à un morcellement, des espaces de vie qui répondent à la nécessité ontologique d’une « ubiquité instantanée » dénuée de présence corporelle (comme le permettent les espaces virtuels « connectés »).