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Abstract :
[fr] Si la dystopie française choisit volontiers pour cadre la métropole parisienne, elle développe aussi la représentation de villes imaginaires, généralement désignées par un toponyme original : France-Ville (Jules Verne, Les Cinq Cent Millions de la Bégum), Industria-City (Didier de Chousy, Ignis), la Morticolie (Léon Daudet, Les Morticoles), la Pingouinie (Anatole France, L’Île des Pingouins), la Siturgic (Claude Farrère, Les Condamnés à mort), Kentropol (Henri Allorge, Le Grand Cataclysme), la Panachie (Régis Messac, La Cité des asphyxiés), la Crétinie (Régis Messac, Valcrétin). Ces entités topographiques font l’objet de descriptions précises et détaillées, qui ancrent une organisation urbaine imaginaire dans un cadre narratif réaliste. L’architecture de la ville et l’infrastructure de l’habitat participent directement à l’élaboration de ces mondes alternatifs où il ne fait pas toujours bon vivre, depuis les aléas de l’application du programme hygiéniste de la « cité du bien-être » (Verne) jusqu’au monde souterrain inversé, alimenté par les déjections des classes inférieures (Messac).
Toutes ces villes ont en commun de faire face à des tensions internes (révolte d’hommes-robots dans Industria-City et d’ouvriers dans la Siturgic, rationnement des ressources en Panachie, cruauté des habitants de Morticolie, dégénérescence des autochtones de Crétinie, explosions terroristes en Pingouinie) et à des menaces extérieures à l’origine de réorganisations géopolitiques qui placent les cités en rivales et ennemies (France-Ville attaquée par Stahlstadt, Kentropol en guerre contre Hérakloupol). Une étude de la poétique des infrastructures urbaines imaginées dans le roman dystopique français permet de préciser cette tension entre un élan réformiste vers le confort, l’efficacité et l’hygiène, et le constat d’une faible résistance aux obstacles fragilisant la ville comme entité humaine et matérielle.
Les configurations de l’habitat, l’innovation des transports en commun et le fonctionnalisme du décorum domestique affichent simultanément leur efficacité et leur fragilité. Pour en rendre compte, deux aspects de la poétique urbaine du roman dystopique seront examinés. D’une part, l’intertextualité – explicite ou allusive – avec le discours architectural qui fonde l’agencement et la répartition des composantes de la ville (Le Corbusier cité dans Ravage de Barjavel, par exemple). D’autre part, le jeu de miroir entre les morphologies humaines, les valeurs sociales et les fonctions assignées aux bâtiments : symétrie synonyme d’intransigeance bornée et impitoyable (Daudet, Les Morticoles), répertoire littéraire urbain (Flaubert Street, Rosetti Park et Proust Avenue sur l’Île des Articoles d’André Maurois), interpénétration tératologique du corps à l’infrastructure (Xavier de Langlais, L’Île sous cloche).