No document available.
Abstract :
[fr] La journée d’études « Logiques iconiques » invitait à réfléchir sur la manière dont le voir informe le savoir. Afin d’apporter des éléments de réponse depuis la discipline qui est la mienne, l’Histoire, je me suis livrée à l’étude d’un cas : Alphonse Dupront (particulièrement la centaine de pages consacrées aux images dans « Itinéraire », 1ère partie de l’ouvrage Du sacré. Croisades et pèlerinages. Images et langages). En raison de son excentricité, ce médiéviste a retenu mon attention. N’est-ce pas depuis les marges qu’on peut, le mieux, examiner le centre ?
Contrairement à ce qu’on observe aujourd’hui dans la plupart des travaux historiens, Dupront ne produit pas, sur les images, un discours en surplomb ni un texte où l’image est prétextuelle. Il réalise une expérience : son texte est à la fois le lieu d’une pratique et l’endroit où se réfléchit cette pratique. Le récit de Dupront constitue un métadiscours et c’est par l’image que le récit historien est contraint de s’engager dans l’autoréflexivité.
Chez Dupront, les catégories du temps et de l’image sont étroitement intriquées. Cette intrication des catégories vient de ce que la définition du temps (longue durée) engendre une conception de l’événement (le vécu qu’étudie l’historien) s’accordant à une certaine définition de l’image (l’image entendue comme agrégat d’hétérogènes et, par-là, possédant un potentiel d’actualisation). Dès lors, événement et image partagent une même propriété, celle d’être actualisables. Cette contiguïté catégorielle fonde le système dupronien. En cela, l’image occupe une place prépondérante ; elle détermine des modalités inédites du savoir historique.
Grâce au travail de Dupront, nous constatons que l’image questionne le dispositif historien dans son ensemble. 1) Dans l’ordre des sources historiques, l’image remet en question la primauté du texte. 2) Et, par sa nature, elle trouble la distinction opérée entre document et monument. 3) Agrégat d’éléments hétérogènes, l’image échappe à un traitement linéaire. Elle souligne la relativité de la périodisation traditionnelle ; elle bouleverse l’ordre des factualités. Elle suscite alors un récit-limite. 4) Elle permet de renouveler des questionnements de grande envergure en matière d’interdisciplinarité et d’interprétation en Histoire.
Bien sûr, l’image entendue comme lieu d’interrogation de l’historiographie et comme détermination de modalités inédites du savoir historien est une hypothèse à éprouver. Mais commençant par tirer sur le fil Dupront, je suis persuadée de pouvoir, peu à peu, délier certains nœuds de l’écriture contemporaine de l’Histoire. La marge où se tient Dupront révèle quelque chose de fort qui œuvre au sein de la pratique. Plus que d’offrir une simple évasion, la réalisation dupronienne nous place au cœur du problème.