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Abstract :
[fr] Le récit d’anticipation développe des représentations sociales complexes, en particulier lorsqu’il se centre sur les dissensions et dysfonctionnements d’une communauté en difficulté face au conflit mondial, au cataclysme écologique ou au fléau biologique. Représentées sous cet angle, les sociétés futures semblent marquer la fin de la distinction sociale par les privilèges de la fortune, du territoire ou du titre, au profit d’une élite éclairée triomphant par le capital intellectuel, la maîtrise scientifique et la sophistication technologique. Pourtant, les scénarios littéraires de destruction imminente des biens matériels et de reconfiguration géopolitique planétaire montrent cette élite en fâcheuse posture et insistent volontiers sur son improductivité, ses conjectures farfelues, son autosuffisance et sa méconnaissance du lien social. Précipitant la fin d’une civilisation, dictateurs technocrates et savants-prophètes sont alors assimilés à une classe aristocratique à bannir, conviction qui motive notamment cette exclamation emportée : « Ces savants, ces aristocrates de la pensée, qu’on les pende ! » (Jacques Spitz, L’Agonie du globe, 1935). Conséquence de l’échec face à l’adversité, le franchissement régressif inverse du seuil nature/culture prépare une nouvelle hiérarchie anthropologique du sang. Elle se caractérise par une urgence de préservation vitale qui se substitue à l’impératif de pureté de la lignée à maintenir. L’imaginaire d’une décadence par le sang s’en trouve reconfiguré sous diverses formes : maladies sélectives selon le capital santé du degré d’ascendance (Daniel Halévy, Histoire de quatre ans, 1903) ; formes de vie parasites se nourrissant des globules rouges humains (Rosny Aîné, La Mort de la Terre, 1910) ; guerre bactériologique ciblée (Henri Allorge, Le Grand Cataclysme, 1922) ; anthropophagie due aux radiations des « machines à sang » alimentées par des corps humains (José Moselli, La Fin d’Illa, 1925), etc. Cette communication étudie la cohérence et l’évolution de ces constats thématiques dans une trentaine de romans parus entre 1900 et 1950, qui partagent les caractéristiques narratives de l’anticipation rationnelle négative. Trois aspects seront examinés en particulier : la constitution du point de vue narratif, la caractérisation des protagonistes et l’évolution diégétique déceptive.