Les aliments fonctionnels à la quête d'une science

Comment peut-on montrer qu'un aliment, ou un de ses composants, confère un effet bénéfique à la santé humaine, outre sa valeur nutritionnelle? L'histoire de cette question et les débats qui l'entourent au sein de l'Union Européenne à l'heure actuelle seront discutés lors de cette présentation. Notre analyse se concentrera sur un débat qui a eu lieu en mars dernier à l'Académie Royale des Sciences à Amsterdam. À l'aide d'une analyse des discours, nous évoquerons les grandes lignes d'argumentation des acteurs qui se trouvent confrontés dans ce débat: le European Food Safety Authority (EFSA) et les acteurs de l'industrie alimentaire. À son tour, cette analyse nous aidera à mieux comprendre les controverses et les enjeux autour de la régulation européenne sur les allégations de santé (CE n°1924/2006) dans un contexte politique plus général.
Notre approche est anthropologique dans la mesure où nous cherchons à comprendre les argumentations sur la nature de la preuve scientifique du point de vue des acteurs mêmes. Le but de notre présentation n'est donc pas d'arriver à un jugement quelconque concernant la valeur scientifique des argumentations respectives. Le plan analytique de notre approche se trouve ailleurs: il s'agira d'expliciter non la valeur scientifique des positions prises, mais la forme politique et les enjeux professionnels de ces positions différentes. Se trouvent confrontés dans le débat autour des allégations de santé: la 'raison' de la science médicale/pharmaceutique et la 'raison' des sciences de la nutrition. En effet, les acteurs ne cessent d'évoquer cette dualité qui se traduit en deux programmes politico-scientifiques: evidence-based medicine (EBM) versus evidence-based nutrition (EBN). Bien que la EBN se veut distincte de la EBM, elle se définit néanmoins par rapport à cette dernière, ce qui mène à des ambiguïtés autour du sens et du rôle des essais cliniques randomisés, des indicateurs biologiques (biomarkers), des types de sujets à recruter pour les essais cliniques, et, finalement, de la définition de la 'santé' même. C'est ici, dans le lien entre un programme scientifique et la définition de la santé, que la science soulève la question non de sa propre vérité, mais bien qui, quelle profession, aura le droit de parler vrai. Ici, encore, nous voyons comment surgit dans un contexte tout à fait contemporain un thème central et fondemental dans les traditions de l'anthropologie et de la sociologie médicale: les quêtes de pouvoir et de légitimité entre science, politique et corps professionnels.
Notre étude fait partie d'une recherche doctorale visant à explorer les relations historiques et contemporaines entre les sciences de la nutrition, la politique et la société en Europe. Nous suivons une méthodologie qualitative pour analyser des entretiens, nos participations à des colloques scientifiques, des textes juridiques et scientifiques, des newsletters dans le domaine de la nutrition, et de la littérature secondaire, principalement en anthropologie et en histoire.