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Abstract :
[fr] Cette intervention se propose de retracer les moments décisifs de la construction de la théorie de l’image didi-hubermanienne. Celle-ci se décline en deux temps (esthétique du symptôme / politique de l’image), jalonnés de rencontres avec des auteurs dont l’influence est manifeste (Panofsky, Freud, Warburg, Benjamin). En automne 2006, la revue Vacarme (n°37) proposait à ses lecteurs un entretien avec Georges Didi-Huberman (mené par Pierre Zaoui et Mathieu Potte-Bonneville). Au milieu de l’entretien, surgit la demande suivante : « Permettez-moi de vous poser la question un peu brutalement : quel est votre rapport réel à la politique ? […] Il semble que vous entreteniez un rapport extrêmement subtil, mais du même coup peu lisible au premier coup d’œil, à la chose publique et à la question des rapports sociaux en général. […] Il semble que vous vous arrêtiez toujours aux frontières de l’engagement, à la fois pour des motifs à la Foucault – ne pas s’emparer de la parole et de l’image de ceux qui souffrent ou agissent – et pour des motifs plus "indicibles" ». La réponse de Didi-Huberman n’est pas – à cet endroit du moins – bouleversante d’originalité : il faut bien dit-il reconnaître sa limite sur certains dossiers de l’actualité – s’engager à tout va, sans connaître les problèmes de première main, ne servirait à rien. Il admet : de nature contemplative, le rapport aux images semble d’abord coupé de l’action. Mais par ailleurs, le théoricien de l’image ne peut se résoudre à la fascination d’un monde visuel replié sur lui-même. Il faut bien qu’il sorte du musée, de la bibliothèque, de l’atelier d’artiste, pour plonger au cœur du réel et se contraindre à affronter ses aspects les plus inquiétants. Mettre les images au contact du réel, voilà la tâche la plus difficile : « L’inquiétude du contact entre l’image et le réel n’est autre qu’une accession à la dimension politique des images » . Depuis cet entretien, Didi-Huberman a développé une « politique de l’image » plus explicite, avec deux ouvrages en 2009 : Quand les images prennent position (premier volume d’un cycle intitulé L’œil de l’histoire – en trois volumes désormais tous publiés) et Survivance des lucioles (autour de Paolini). À nouveau marqué par le souffle critique de Walter Benjamin, ce dernier texte permet à son auteur de se situer très clairement dans le champ de la réflexion politique sur l’image – en prenant, surtout, ses distances à l’égard de la pensée « apocalyptique » de Giorgio Agamben. Tel est bien l’argument décisif de Survivance des lucioles : face au constat tragique du « dépérissement culturel » de nos sociétés actuelles, deux attitudes sont possibles. Soit on souligne le pire, en reprochant aux images leur pacte secret avec le pouvoir aliénant, et on prend le ton défaitiste du chroniqueur de la fin des temps, attendant désespérément une rédemption venue d’on ne sait où. Soit on souligne les efforts de résistance, les lueurs du contre-pouvoir et la « capacité de suspension, de transformation, de bifurcation » de l’image s’insérant dans la sphère politique. Mais on ne peut pas parler pour autant d’un « tournant politique » de l’esthétique didi-hubermanienne, tant les thèmes aujourd’hui avancés dans les ouvrages récents font écho aux premières interventions. Le débat épistémologique entamé très tôt avec les maîtres à penser de l’histoire de l’art traditionnelle montrait déjà à quel point les opérations théoriques relatives aux images (décrire, interpréter, analyser, retracer l’histoire) sont lourdes de conséquences d’un point de vue idéologique. Je voudrais faire voir la continuité très nette que l’on peut établir entre l’esthétique du symptôme et la politique de l’image.