Une carte blanche de Philippe George, Conservateur honoraire du Trésor de la Cathédrale de Liège.

Dans un récent article Déconfinons nos musées, nous écrivions qu’il y avait beaucoup à dire sur les expositions - les vraies expositions d’art et d’histoire originales - celles qui se préparent avec temps, recherche et imagination scientifiques. D’autre part, nous pensons que l’art ancien, de manière générale, est en perte de vitesse en Wallonie dans l’organisation de grandes expositions, comme celle de Van Eyck récemment à Gand. Après le Coronavirus pourrons-nous appliquer pleinement la règle des 3 « C » en cette matière : confiance, compétence et créativité ?

« C » comme confiance

Notre époque en manque grandement : or sans confiance que peut-on réaliser ? Les équipes d’une exposition, équipes scientifique et technique, doivent s’épauler et les institutions sollicitées partir en confiance dans le projet d’exposition, à partager d’A à Z avec tous les acteurs. Le prêt des pièces doit se négocier dans l’intérêt des œuvres, leur état de conservation, leur besoin de restauration. Leur accompagnement à l’extérieur est indispensable sauf si le prêteur a une confiance absolue dans l’emprunteur, qui fera à sa place le constat d’état des pièces et s’occupera du suivi du transport « de clou à clou », pour reprendre la belle formule d’assurance, très parlante. Pendant toute notre carrière, nous avons toujours travaillé avec des collègues sérieux sinon nous ne leur aurions rien prêté. Qui mieux que le conservateur peut juger de l’opportunité d’un prêt car il est le seul à pouvoir prendre en considération de nombreux paramètres, uniquement connus de lui ? Quant à l’administration, si elle est indispensable, essayons de la réduire à l’essentiel.

« C » comme compétence

C’est vraiment enfoncer une porte ouverte d’en parler mais tout le monde s’érige aujourd’hui si vite en spécialiste. Les réseaux sociaux et internet ont tendance à individualiser les savoirs en des personnes qui n’ont jamais travaillé sur les sujets et ne font que se documenter, sommairement nourris des recherches de leurs devanciers. Au moins faut-il associer ces derniers aux projets comme les vrais spécialistes, au mieux suivre leurs conseils. Un comité scientifique doit ainsi se concevoir et se constituer.

« C » comme créativité

Enfin c’est elle sans doute qui manque le plus de nos jours : nous voulons dire l’imagination scientifique. Bien sûr il ne faut pas négliger la synthèse et une belle exposition de rappel tous les 30 (?) ans sur l’art d’un grand maître ou sur une époque est la bienvenue, une sorte de piqure de rappel, surtout quand les œuvres ne sont pas constamment exposées. On l’a vu par exemple avec Lambert Lombard à Liège (1966 et 2006). On cherchera alors à aller plus loin pour dégager une nouveauté dans les dossiers traités : une restauration ou une acquisition peuvent alors servir de prétexte, tout à fait légitimes, et toujours dans l’intérêt des collections, qui doit avant tout primer. La place des collectionneurs privés et des antiquaires est également à souligner : ils ont le contact avec les œuvres, de l’intuition et de la clairvoyance. Ce qui doit guider, c’est l’originalité et l’inédit du sujet. La Ville de Liège avait lancé une série d’expositions historiques de 1968 à 1980 ̶ Liège & Bourgogne, Le siècle de Louis XIV, Le siècle des Lumières, ̶ qui s’est poursuivie en 2001 par le XIXe siècle, Vers la modernité. En 2016, Ernest de Bavière (1554-1612) et son temps s’est inscrit dans une perspective principautaire : Liège a suffisamment de princes-évêques pour exploiter le filon ! Cette perspective historique est devenue artistique : en sculpture avec Jean Delcour (1631-1707). Un émule du Bernin à Liège (2007), exposition dans plusieurs lieux publics à Liège et favorisée par une grande collection privée liégeoise, et en peinture avec Bertholet Flémal (1614-1675), le Raphaël des Pays-Bas, célébré au Trésor. Le problème de toutes ces expositions est l’interdisciplinarité à développer dans la recherche : c’est un terrible défi que de faire bien travailler ensemble les scientifiques. Quant aux moyens financiers, feus Jean Lejeune et Jacques Stiennon auraient tant aimé pouvoir accueillir à Liège la fameuse exposition Rhin-Meuse, qui fut finalement organisée à Cologne et à Bruxelles en 1972. Faut-il rappeler que l’âge d’or de l’art mosan est le XIIe siècle ? L’orfèvrerie mosane a dû se contenter de deux publications du Trésor de la Cathédrale en 2014 et 2016, après une magnifique exposition internationale bicéphale… en France, en 2013 à Paris et à Saint-Omer.

Il y a encore tant de terres inconnues à explorer. L’innovation est source de découvertes.

Les 3 « C » évoqués à mettre en œuvre auraient pu être accompagnés du sigle C copyright © dans notre titre, beau symbole dont nous vous invitons à aller voir sur la toile l’histoire, qui remonte à la Constitution des États-Unis et qui protège l'investissement dans le caractère créatif. Cette créativité est essentielle si nous ne voulons pas devenir des acteurs sous-développés : notre art et notre histoire ne le méritent-ils pas ?

Titre de la rédaction. Titre original: Les trois « C » du succès pour une exposition d’art et d’histoire. L’expérience liégeoise